Une vie d’exchange student – acte 1

Pour mener une vie d’exchange student, il faut accepter l’imprévu. Il faut accepter de ne pas savoir où l’on va se coucher le soir au réveil. Il faut se dire qu’il y a bien soixante pourcents de chance que le programme de la journée ne tienne pas la route. Parce que quelqu’un va appeler dans cinq minutes pour une idée de sortie trop importante pour être décalée, parce qu’une grève va surgir, parce que sur le chemin on aura trouvé quelque chose de vachement intéressant ou parce que quelqu’un sera vachement en retard. Il faut savoir rebondir, s’adapter, accepter l’inconnu et bien se mettre dans la tête que même les amis sont indignes de confiance!

Ils disent qu’ils connaissent le chemin, qu’ils sont déjà allés à ce temple, que l’endroit leur est familier, qu’on est bientôt arrivé et qu’on n’est surement pas perdu. Balivernes ! Voilà pourquoi il faut toujours avoir deux cartes dans son sac. Une pour les lieux, une autre pour les détails des routes !

Mais il n’y a pas que les exchange students eux-mêmes qui ne sont pas dignes de confiance, il y a aussi le rotary.

Un matin je retrouve le président et mon premier père d’accueil dans le salon. Pas le temps de te sécher les cheveux, très chère, cela est très important. Ce soir, tu changes de famille. Quoi? Pourquoi? Où? Comment? Une surprise pour tout le monde chez moi.

Personnellement la nouvelle est dure à digérer. Je m’imaginais passer mes deux derniers mois dans un endroit familier, là où j’étais par-fai-te-ment bien. Ce qui est dur, c’est que je ne le savais pas, que je ne savais pas où j’allais, et que j’ai dû dire au revoir alors que tout le monde partait au boulot. Ca ne s’est pas vraiment fait dans les règles, j’imaginais vraiment d’autres adieux. J’ai le sentiment de ne pas avoir abouti mon séjour dans cette famille, parce que j’avais encore beaucoup de choses à leur dire, à faire avec eux. Des projets qu’on avait ensemble sont… simplement annulés.

Le problème avec les familles indiennes, c’est qu’elles s’attachent à nous, mais pas de la même façon que nous pouvons le faire. Nous n’avons plus de famille, plus d’amis sur qui compter. Problèmes de langue, de culture, tout est différent, et la moindre personne gentille devient un dieu. Une famille d’accueil, on s’y attache.

Mais les projets qu’ils avaient se font maintenant sans moi. Loin des yeux, loin du cœur est absolument vrai en Inde. Les relations peuvent prendre fin du jour au lendemain, la preuve.

J’ai essayé de garder contact mais j’estime que cela ne peut pas toujours venir de moi. C’est absolument dommage. J’ai le sentiment que par ce changement de famille soudain, le rotary ne m’a pas seulement compliqué la tâche pour mes deux derniers mois, mais il a aussi cassé mes relations avec ma deuxième famille d’accueil.

La famille où je suis est logée dans un appartement très confortable, mais les murs laqués et les douches à l’italienne ne font pas les relations familiales.  Ils ne connaissent absolument rien du programme, et n’étaient pas supposés m’accueillir. Ils m’appellent « l’invitée »… vous comprenez donc. Je bénéficie d’une TOTALE liberté de sortie. La mère d’accueil croit aux séries américaines qui montrent des jeunes filles faisant la fête tous les soirs et allant en boîte au moins deux fois par semaine. C’était donc avec inquiétude les deux premiers soirs lorsqu’elle me voyait lire qu’elle me questionna sur mon nombre d’amis, et sur le nombre de fois par semaine que j’allais au club en France.

Puisqu’il faut saisir tout ce qu’une maison d’accueil a à offrir (ma deuxième famille me l’aura bien répété…), me voilà en train d’aller à toutes les fêtes d’adieux et à dormir chez tel ou tel ami. Ainsi ils sont relativement contents : au lieu de me critiquer devant leurs amis au sujet de ma tendance à lire, écrire et parler pas fort, ils racontent à tout le monde que je suis extrêmement occupée et que j’ai des centaines d’amis. C’est pathétique. J’ai pour sûr découvert un autre mode de vie, mais peut-être est-ce une facette des familles indiennes que j’aurais préféré ne pas voir.

Cette maison fonctionne comme une auberge, pour moi comme pour eux. Je me suis donc mis en quête d’une famille volontaire pour m’accueillir pour la fin de mon séjour. C’est chose faite et ça n’a pas été difficile. Ce sont des amis communs à mes deux premières familles d’accueil chez qui j’ai déjà séjourné quatre jours lorsque ma famille était absente. Ils m’avaient à l’époque proposé de rester définitivement, mais n’ayant aucun souci avec ma deuxième host family, j’avais trouvé plus juste de décliner.

Encore une fois, en échange nous ne sommes sûr de rien, il ne faut jamais prendre aucune situation pour acquit. Quelle meilleure préparation pour le monde adulte que celle-ci ? J’ai parfois l’impression qu’il y a quand même des gens qui ont la vie plus simple, mais toutes ces expériences apportent quelque chose, même si on n’en voit pas les conséquences tout de suite, et qu’une part en soi encore enfant aimerait que tout soit pour le meilleur possible dans le meilleur des mondes. Evidemment cela n’est pas possible et il faut l’accepter.

Ceci n’est pas vraiment le quotidien d’un exchange student, ça ne reflète en rien ce que je peux faire de mes journées, mais voilà ce dont on peut discuter entre nous, ce que nous pouvons penser par moments. Ne vous inquiétez pas, il y a de bien plus joyeuses parties : to be continued !